Visa Transit 1

Tout arrive à qui sait attendre. Y compris sans doute le meilleur album de Nicolas de Crécy après 30 ans de carrière dans la bande dessinée. Loin l’idée de remettre en question la bibliographie d’une de ses figures incontournables, dessinateur parmi les dessinateurs, coloriste spectaculaire entre tous, mais… force est de constater qu’à s’enliser dans des histoires aux trames de plus en plus distendues, on avait perdu l’habitude d’attendre quelque chose de stimulant de la part du génial animateur de Léon la Came. On peut même spéculer que la forme d’ennui qui se dégageait de ses extravagances avait peut-être commencé à contaminer l’auteur lui-même, de plus en plus tourné vers la pratique de l’illustration en temps que telle, loin des contraintes narratives de l’art séquentiel.
Or pour notre bonheur, il faut croire que l’appel de la bande dessinée n’était pas encore complètement enfoui. Le désir, en tout cas, transparaît indubitablement ici. Et pour éviter d’avoir à affronter de vieux démons, autant tourner la page et aller au plus simple, se concentrer sur ce qu’on connait. Raconter sa vie à travers un carnet de voyage. Faire de l’autobio. Ça peut paraître anodin. Mais c’est le contraire qui surgit, quand, s’éloignant de la simple énumération chronologique, l’auteur questionne la résonnance de tel ou tel souvenir pour bâtir des ponts entre les différentes périodes de sa vie.
C’est dans une zone indistincte, aux frontières de l’ordinaire et de l’extraordinaire, que la sensibilité unique de Nicolas de Crécy parvient à nous faire accéder à des contrées nouvelles, là où les péripéties du chemin prennent, au détour imprévu, une tournure surréaliste.
A vous de redécouvrir un auteur nouveau et inspiré, invoquant sur les routes poussiéreuses des Balkans, au volant d’une bringuebalante Citroën Visa, le fantôme énigmatique du poète Henri Michaux.
// YZ 2020

Visa transit 1
Nicolas de Crécy
Gallimard 2019
130 p
9782075130936