L’Ombre des lumières 2
Dans la course aux meilleurs dessinateurs réalistes francophones, l’époque a encore quelques atouts en réserve. Un exemple et non des moindres : Richard Guérineau. Une des particularités de la carrière de cet auteur, c’est qu’on a pu suivre linéairement sa lente et régulière éclosion, notamment à travers la série Le Chant des Stryges, qui s’est étalée sur plus de 20 ans. Au départ dessinateur sans relief particulier, Guérineau a su petit à petit simplifier la dynamique de son graphisme et alléger considérablement la noirceur de sa palette pour parvenir à une synthèse, une voie médiane du dessin absolument époustouflante. Ayant recours à une technique de colorisation indirecte dont il maîtrise les effets d’optimisation plastique à la perfection, il fait désormais partie de ces rares auteurs qui peuvent s’adapter à tous les terrains et qu’aucune contrainte ne semble devoir gêner. A l’aise dans les environnements où sa science de l’organisation spatiale et son sens de la théâtralité font merveille, il est particulièrement adapté au domaine de l’Histoire. Cerise sur le gâteau, l’homme est travailleur et par conséquent sollicité par beaucoup. Citons quelques collaborations exceptionnelles avec, entre autre, Meunier (Le Troisième Jour) et Teulé (Charly 9). Aujourd’hui c’est avec Alain Ayroles, auréolé de l’incroyable succès populaire des Indes Fourbes que Guérineau va pouvoir dérouler. L’Ombre des lumières se présente sous la forme d’un triptyque historique de type épistolaire, un peu en écho aux Liaisons dangereuses de Laclos. A l’instar de l’illustre roman, le récit se situe au cœur du XVIII, en plein essor des Lumières au cœur d’une société aristocratique encore farouchement accrochée à ses privilèges. Le Chevalier de St-Sauveur, en séducteur cynique et invétéré, se voit acculé à quitter la France pour échapper à ses pourfendeurs. Le deuxième volume de la série le voit évoluer dans un cadre majestueux et sauvage, la Nouvelle-France et sa société encore naissante, que l’intriguant tentera d’apprivoiser pour conserver sa place parmi l’élite et poursuivre sa mission machiavélique de perversion des cœurs.
Le récit est solidement charpenté, les riches extraits de correspondances répondent aux dialogues sans accros pour maintenir le suspens idéal. Cette mécanique bien rôdée semble malgré tout avoir été conçue par moment que pour servir d’écrin à la démonstration virtuose de Guérineau. Scènes de genre diverses, de chasse, de cour, de boudoir, de marine ou de simple évocation pastorale, tout ici n’est que prétexte à une orchestration digne des plus grands ballets. Une leçon de classicisme pour une tranche de plaisir à ne pas bouder. Ne reste plus qu’à espérer que le récit se corse un tantinet dans sa conclusion.
//YZ 2024
L’Ombre des lumières 2 Dentelles et Wampun
Ayroles & Guérineau
Delcourt 2024
66 p
9782413078555