Habemus Bastard

Trois chroniques vont suivre, qui tourneront autour de l’évocation de trois gros dessinateurs balèzes qui en imposent dans le champ de la bande dessinée franco-belge, en se faisant remarquer dans l’actualité. C’est d’abord le tour de Sylvain Vallée, costaud parmi les costauds, dessinateur expérimenté, encore auréolé de l’extraordinaire succès populaire de la série Il était une fois en France, sortie il y a plus de 15 ans. Après le mitigé Katanga, le revoilà sur le devant de la scène au service d’un polar survitaminé et grossièrement irrévérencieux.
Au défi de se faire oublier, un gangster lyonnais est exfiltré en se faisant passer pour le nouveau curé d’une paroisse en déshérence, à St Claude, capitale de la pipe au cœur du Jura français. Très vite les réflexes de truand prennent le dessus sous l’apparente conformité cléricale. Manipulateur et violent, notre héros parvient à joliment tromper ses ouailles, séduites par la virilité et la force de persuasion de ce berger au demeurant fort peu catholique ! Le premier tome parvient, malgré l’énormité de son scénario, à faire illusion et à maintenir efficacement le suspens par une certaine forme de cohérence dans sa logique. Une logique de dominant, qui se conclura en apothéose par une scène licencieuse de cavalcade à faire frémir d’extase les nostalgique de la bd à papa des années quatre-vingt. Le deuxième volume, qui fait office de conclusion sera laissé à l’appréciation des lecteurs… (disons qu’il est toujours difficile de dénouer un énorme sac de nœuds !)
En attendant, si le rythme endiablé de cette histoire vous en laisse le temps, vous pourrez toujours vous laisser aller à admirer l’élégance et l’aboutissement du trait de Vallée, qui se plait, à côté des impeccables scènes d’actions, à s’étendre plus que de nécessaire sur les vieux murs de l’abbatiale, les appartements poussiéreux du presbytère, les décors déprimants de la sous-préfecture jurassienne et de ses contreforts, arrosés d’une pluie qui ne cesse, comme il se doit. Il y a comme une sensibilité pour le pays qui émerge de ce travail, à travers son implication documentaire, sans lien direct avec le sujet, et qui transporte cette lecture récréative dans une autre dimension, presque contemplative.
//YZ 2024

Habemus Bastard (1+2)
Jacky Schwartzmann et Sylvain Vallée
Dargaud 2024
170 p (en tout)
9782205089943 (et 9782205211306)