Bunker

Encore une bonne tranche de réalisme social avec Bunker, une première publication choc d’un jeune auteur au catalogue de la toute nouvelle et prometteuse collection de Dupuis, aux accents chantants des origines : Les Ondes Marcinelle.
Avec Bunker on se croirait pour un peu retourné sur les terres du P’tit Quinquin de Bruno Dumont. Même sujet : l’adolescence. Même environnement : provincial. Même décor : la côte d’Opale et même sanctuaire : un bunker ! La comparaison s’arrête là – la dimension surréaliste de la série n’ayant pas cours dans l’album de Poulie. Quoiqu’une forme d’approche empirique du documentaire puisse relier assez légitimement les deux univers, au-delà de leur contexte manifeste.
Pour témoigner d’une situation qu’il connait pour l’avoir partagée de près – vivre et grandir dans un milieu décentré et marginalisé, l’auteur nous emmène sur les traces de Jessica, une jeune fille qui a du mal à assumer l’éclosion de sa féminité. Deux copains de proximité ne sont pas en reste, pour ce qui est de savoir à quoi ils en sont et comment va se poursuivre le jeu de celui qui pisse le plus loin. Dans Bunker, à l’abri des regards, ça se touche sous le jogging. En public, ça cherche à se frotter à la racaille. En privé ça se pique entre frangins et ça fait mal. C’est cru et ça déménage. Pour coller au plus près de ses personnages, l’auteur recours au marquage à la culotte. On sent qu’il est au plus près, sans plan de travail prédéfini, cherchant par tous les moyens à retransmettre à chaud l’intensité du moment choisi. Cette remise en question perpétuelle se traduit par une expression graphique foisonnante, inventive, sans cesse en rupture, spontanément géniale même si par moment proche de la confusion. Dans la plupart des cas, pareille débauche expérimentale mènerait inéluctablement à la saturation. Ici, par le sentiment d’authenticité véhiculé et d’investissement consenti, ce trop-plein d’énergie concoure à la parfaite densité des personnages et à la remarquable sensibilité du propos.
Un sacré numéro ! Auquel il ne faut pas omettre de mentionner l’indescriptible exercice de narration parallèle mise en place pour l’occasion, véritable démonstration de lecture dans la lecture, en hommage à une passion ancienne pour les livres dont vous êtes le héros. Je rajouterais, à titre personnel : un fabuleux clin d’œil à une séquence légendaire de même nature, celle du naufragé du Watchmen d’Alan Moore.
//YZ 2023

Bunker
Camille Poulie
Dupuis 2022
144 p
9791034762811