
Le Dieu Fauve
Le Dieu Fauve arbore en sa couverture la signature d’un dessinateur espagnol qu’on reconnait à la souplesse de son trait. « Roger » s’était signalé auparavant sur la série Jazz Maynard, dont les éditeurs font volontiers paraître des tirages de luxe noir et blanc, pour souligner à juste titre l’élégance du graphisme, qu’on peut situer dans le prolongement de la tradition de l’école réaliste de la bande dessinée latino-hispanique. La beauté du trait de Roger se cristallise en particulier dans l’expression des corps, dans la plasticité de leur anatomie, la gestuelle de leurs rituels ou la fulgurance de leurs affrontements. Cette esthétique des corps est soulignée par des confrontations glaciales, traitées comme autant de chorégraphies, et que le scénario proposé par Fabien Vehlmann semble avoir été imaginé que pour les mettre en exergue.
Dans un monde sans âge faisant écho aux univers archaïques de Conan, une tribu nomade trace son sillon sur des terres dévastées, en marche vers les lieux mythifiés des origines, en proie au danger permanent, faisant, dans la chair de chacun de ses membre l’expérience douloureuse d’une déchéance imminente mais dont les contours ne sont pas encore clairement définis. Ayant recours aux ressorts de la tragédie pour donner un sens au récit autour de son personnage principal, un singe élevé au rang de guerrier, Vehlmann met en place, dans un registre voisin à celui de l’heroic fantasy, une saga clanique à forte valeur symbolique, sur le thème de la perpétuation de l’ordre établi et de la lutte pour la survie, par la violence et par la peur. Un récit baroque, sombre et cruel, parmi les plus convaincants proposés par un auteur touche-à-tout, aussi brillant qu’inégal.
//YZ 2024
Le Dieu Fauve
Fabien Vehlmann & Roger
Dargaud 2024
170 p (en tout)
9782505085645